En regard de ce droit d’accès, il est nécessaire d’exiger le droit à la liberté d’attention. Le numérique devrait arriver à une maturité suffisante pour se faire oublier, et ne pas s’imposer constamment.
Ce point mérite une contextualisation : nous vivons au sein d’une multitude de dispositifs et réseaux techniques, de l’électricité qui nous éclaire aux voies ferrés qui nous transportent, de l’approvisionnement en eau aux bâtiments qui nous protègent de la pluie, des hôpitaux où l’on nous soigne aux structures de production agricoles qui nous nourrissent, et bien d’autres. Cette variété s’appuie sur un tissu de connaissances, et génère constamment un immense flux d’informations. Ce volume est beaucoup trop important pour être entièrement absorbé par une seule personne, quand bien même elle y consacrerait tout son temps.
Il convient donc d’opérer des choix dans cette masse, notamment pour définir ce qui doit être enseigné dans les programmes scolaires, de la maternelle à l’université. Ces choix doivent faire l’objet d’un débat démocratique et transparent, car il s’agit de véritables choix de société. La question de la liberté d’attention peut se résumer de cette façon : en quoi connaître les composants d’un ordinateur est-il plus important que connaître le nom des fleurs ? Qui a décidé, et sur quelle base, l’invasion culturelle du numérique et la place de plus en plus importante qui lui est donnée ? Si l’agriculture était traitée aujourd’hui comme le numérique, tous les élèves auraient depuis le collège des cours d’hygiène agricole, des ateliers de sensibilisation agricole, des certifications d’aptitude agricole, des options agriculture dans toutes les sections au lycée et des compétences agricoles transverses aux programmes de la plupart des disciplines universitaires.
La question de la juste place des compétences numériques doit aussi être posée. La liberté d’attention, c’est la capacité que devraient avoir ces dispositifs à simplement fonctionner, sans se rappeler constamment à notre attention. Si notre réseau électrique se comportait comme un ordinateur, il faudrait en permanence le mettre à jour, installer un anti-virus pour éviter de se faire voler de l’électricité, gérer ses mots de passe avec soin pour pouvoir allumer la lumière, réapprendre régulièrement comment fonctionnent les interrupteurs parce qu’ils se reconfigurent spontanément, sans parler de l’impossibilité de brancher certains appareils en fonction de la marque du réseau électrique, ou du four qui s’arrête de fonctionner parce qu’il n’est plus mis à jour par le fabricant. Cette image n’est pas qu’une simple analogie : l’Internet des objets connectés et de la domotique rend désormais possible cette prédation attentionnelle et cette obsolescence de tous les instants.